Le poète est un riche. De Monsieur Victor Hugo et son texte.
Poème provenant de son recueil Les chansons des rues et des bois ...Une vraie ballade de santé que de se promener dans les jardins de ce Monsieur Hugo... Bonne écoute.
L'auteur.
Nous avons des bonnes fortunes
Avec le bleuet dans les blés ;
Les halliers pleins de pâles lunes
Sont nos appartements meublés.
Nous y trouvons sous la ramée,
Où chante un pinson, gai marmot,
De l’eau, du vent, de la fumée,
Tout le nécessaire, en un mot.
Nous ne produirions rien qui vaille
Sans l’ormeau, le frêne et le houx ;
L’air nous aide, et l’oiseau travaille
À nos poèmes avec nous.
Le pluvier, le geai, la colombe,
Nous accueillent dans le buisson,
Et plus d’un brin de mousse tombe
De leur nid dans notre chanson.
Nous habitons chez les pervenches
Des chambres de fleurs, à crédit ;
Quand la fougère a, sous les branches,
Une idée, elle nous la dit.
L’autan, l’azur, le rameau frêle,
Nous conseillent sur les hauteurs,
Et jamais on n’a de querelle
Avec ces collaborateurs.
Nous trouvons dans les eaux courantes
Maint hémistiche, et les lacs verts,
Les prés généreux, font des rentes
De rimes à nos pauvres vers.
Mon patrimoine est la chimère,
Sillon riche, ayant pour engrais
Les vérités, d’où vient Homère,
Et les songes, d’où sort Segrais.
Le poète est propriétaire
Des rayons, des parfums, des voix ;
C’est à ce songeur solitaire
Qu’appartient l’écho dans les bois.
Il est, dans le bleu, dans le rose,
Millionnaire, étant joyeux ;
L’illusion étant la chose
Que l’homme possède le mieux.
C’est pour lui qu’un ver luisant rampe ;
C’est pour lui que, sous le bouleau,
Le cheval de halage trempe
Par moment sa corde dans l’eau.
Sous la futaie où l’herbe est haute,
Il est le maître du logis
Autant que l’écureuil qui saute
Dans les pins par l’aube rougis.
Avec ses stances, il achète
Au bon Dieu le nuage noir,
L’astre, et le bruit de la clochette
Mêlée aux feuillages le soir.
Il achète le feu de forge,
L’écume des écueils grondants,
Le cou gonflé du rouge-gorge
Et les hymnes qui sont dedans.
Il achète le vent qui râle,
Les lichens du cloître détruit,
Et l’effraction sépulcrale
Du vitrail par l’oiseau de nuit.
Et l’espace où les souffles errent,
Et, quand hurlent les chiens méchants,
L’effroi des moutons qui se serrent
L’un contre l’autre dans les champs.
Il achète la roue obscure
Du char des songes dans l’horreur
Du ciel sombre, où rit Épicure
Et dont Horace est le doreur.
Il achète les rocs incultes,
Le mont chauve, et la quantité
D’infini qui sort des tumultes
D’un vaste branchage agité.
Il achète tous ces murmures,
Tout ce rêve, et, dans les taillis,
L’écrasement des fraises mûres
Sous les pieds nus d’Amaryllis.
Il achète un cri d’alouette,
Les diamants de l’arrosoir,
L’herbe, l’ombre, et la silhouette
Des danses autour du pressoir.
Jadis la naïade à Boccace
Vendait le reflet d’un étang,
Glaïeuls, roseaux, héron, bécasse,
Pour un sonnet, payé comptant.
Le poète est une hirondelle
Qui sort des eaux, que l’air attend,
Qui laisse parfois de son aile
Tomber des larmes en chantant.
L’or du genêt, l’or de la gerbe,
Sont à lui ; le monde est son champ ;
Il est le possesseur superbe
De tous les haillons du couchant.
Le soir, quand luit la brume informe,
Quand les brises dans les clartés
Balancent une pourpre énorme
De nuages déchiquetés,
Quand les heures font leur descente
Dans la nue où le jour passa,
Il voit la strophe éblouissante,
Pendre à ce décroche-moi-ça.
Maïa pour lui n’est pas défunte ;
Dans son vers, de pluie imbibé,
Il met la prairie ; il emprunte
Souvent de l’argent à Phœbé.
Pour lui le vieux saule se creuse.
Il a tout, aimer, croire et voir.
Dans son âme mystérieuse
Il agite un vague encensoir.